Monday, December 09, 1996
Obsèques de ma mère le 9 décembre 1996
OBSEQUES DE PIROSKA CITROÊN
(épouse de Bernard Citroën)
à Paris, le 9 décembre 1996
Allocution de son fils Henri-Jacques
(à la tombée de la nuit, à côté de la tombe ouverte, la neige tombant en pluie douce, à la lueur d’une lanterne, entouré de l’ombre de la famille et des amis …)
Très chère Maman,
Hélas, est enfin arrivé le jour dont tu me parlais souvent : celui où, pour reprendre tes paroles, tu as « fermé les yeux pour toujours ». Tu attendais ce moment sans crainte, avant ta maladie, tu l’attendais probablement avec une certaine impatience une fois malade et consciente de l’impossible guérison : prisonnière de ton corps soudain diminué, observant en silence le monde sur lequel et dans lequel tu ne pouvais plus agir, tu viens de vivre 14 mois de purgatoire. Te voilà enfin libérée !
Tu m’as souvent parlé de la mort. La mort ne te faisait pas peur. Ton enfance dans la jolie ferme de tes parents, dans la plaine hongroise, t’avait familiarisé avec la naissance, l’amour et la mort : assister aux enterrements était une distraction des enfants du village où tout le monde se connaissait. Moi, je détestais quand tu me parlais de la mort et, pour couper court à tes propos sur ce sujet, je te disais que nous ne pourrions pas nous passer de toi et que sauterions par la fenêtre une fois ta disparition connue ! J’entends encore tes protestations … Ne t’en fais, c’était de ma part une mauvaise provocation mais l’idée de ton départ définitif m’attristait trop.
Sur ce sujet comme d’autres, tu n’aimais pas beaucoup la contradiction. Moi, j’aimais polémiquer avec toi et cela me permettait de découvrir les limites du bon sens et de la morale. Il valait mieux avoir de solides arguments pour que tu écoutes une démonstration ou un avis jusqu’au bout ! Pendant mon adolescence, combien de fois ai-je dû terminer les repas à la cuisine quand tu considérais mes propos insolents au lieu d’être convaincants. Tu nous as forcés à être cohérents.
Tu nous as appris aussi à être curieux. Tu aimais m’emmener dans les musées, ton univers préféré. Chaque fois que nous rentrions dans ces temples de la création artistique, tu me faisais vivre, comprendre, apprécier les œuvres d’art, tes compagnons jusqu’à ta maladie, au Musée Carnavalet, dont tu étais une grande animatrice, ou dans les haut lieux de la culture européenne.
Ta vie a été bien active. Tu n’arrêtais jamais. Aussi bien dans la promotion de l’art, l’éducation de tes enfants, la gestion du foyer familial ou dans l’appui que tu as toujours donné à Papa. Tu te plaignais parfois d’être toujours en mouvement mais tu disais ne pas pouvoir faire autrement : il te fallait toujours faire plus et mieux. Ce qui incitait souvent ton fils Philippe à dire : « Maman, couche-toi, repose-toi ! ». Dieu a voulu que tu écoutes enfin Philippe… Comme dit la chanson, tu as maintenant toute la mort pour te reposer ! Tu nous as ainsi donné le goût du travail et le sens du devoir. Tu laisses trois fils qui essaient de donner, à tout moment, le meilleur d’eux-mêmes.
Tu nous as donné le sens de la lutte : née dans une famille hongroise de 9 frères et soeurs, tu as financé toi-même tes études secondaires et universitaires en obtenant des bourses dont l’attribution était liée aux seuls excellents résultats scolaires. Pendant la 2e Guerre Mondiale, tu as quitté la Hongrie et séjourné, seule, en Italie puis traversé l’Allemagne pour te rendre en Suède. Toute seule …
Tu nous as donné le sens de l’effort. Dans les années soixante, ton dos démoli au point où tu ne pouvais plus porter un paquet, tu as entrepris une rééducation par le yoga : après 2-3 ans, une fois rétablie, tu nous étonnais par ta souplesse et ta force physique.
Par tes attitudes et tes propos, tu nous as donné un sens moral profond, fondé sur tes croyances religieuses solides. La foi en Dieu ne t’a jamais fait défaut, la pratique de la religion catholique a été une constante. Tu aimais vérifier l’état de notre pratique religieuse : tu me demandais périodiquement la date de ma dernière confession et je te répondais, sans que ma réponse te satisfasse, que c’était une affaire entre mon confesseur et moi ! Tu as contribué à la conversion de Papa à la religion catholique. Ce qui nous a permis, à nous, vos enfants, d’assister au baptême de notre père après que lui eût assisté à nos baptêmes !
Tu nous as appris à détester les personnages immoraux, les fortunes mal gagnées. Tu expulsais verbalement les marchands du Temple.
Tu nous as appris à respecter l’autre, si possible à l’aider, surtout lorsqu’il est plus faible. Tu as bien intégré dans tes actes et tes paroles l’enseignement du Christ. C’est toute une morale du devoir que tu nous as transmise.
J’ai un grand souvenir. Un matin, tôt, alors que j’avais 7 ou 8 ans, tu m’as emmené dans le Parc de Versailles, après une nuit de neige. Il n’y avait personne. Seuls toi et moi. C’était comme un rêve. La sérénité. Le bonheur : une maman qui t’aime, que tu aimes, dans un paysage silencieux rendu vierge par un manteau blanc. La re-création du monde. Seuls bruits : nos pas et le chant des corbeaux … Tout était beau. Le paradis. J’espère que là où tu trouves maintenant, c’est aussi beau et que tu y côtoies ceux qui t’aiment et que tu as aimés.
Pour tout ce que tu nous as apporté et donné, merci, chère Maman, chère Mamikam (comme t’appellent tes 5 petits-enfants), chère Piry-Baba (en hongrois : Piry ma Poupée) comme je t’appelais parfois, affectueusement, mais pour te taquiner en dépassant les limites du respect.
Au revoir, en espérant cependant que ce soit le plus tard possible afin d’avoir le temps de profiter de la vie et de remplir nos missions sur Terre.
(épouse de Bernard Citroën)
à Paris, le 9 décembre 1996
Allocution de son fils Henri-Jacques
(à la tombée de la nuit, à côté de la tombe ouverte, la neige tombant en pluie douce, à la lueur d’une lanterne, entouré de l’ombre de la famille et des amis …)
Très chère Maman,
Hélas, est enfin arrivé le jour dont tu me parlais souvent : celui où, pour reprendre tes paroles, tu as « fermé les yeux pour toujours ». Tu attendais ce moment sans crainte, avant ta maladie, tu l’attendais probablement avec une certaine impatience une fois malade et consciente de l’impossible guérison : prisonnière de ton corps soudain diminué, observant en silence le monde sur lequel et dans lequel tu ne pouvais plus agir, tu viens de vivre 14 mois de purgatoire. Te voilà enfin libérée !
Tu m’as souvent parlé de la mort. La mort ne te faisait pas peur. Ton enfance dans la jolie ferme de tes parents, dans la plaine hongroise, t’avait familiarisé avec la naissance, l’amour et la mort : assister aux enterrements était une distraction des enfants du village où tout le monde se connaissait. Moi, je détestais quand tu me parlais de la mort et, pour couper court à tes propos sur ce sujet, je te disais que nous ne pourrions pas nous passer de toi et que sauterions par la fenêtre une fois ta disparition connue ! J’entends encore tes protestations … Ne t’en fais, c’était de ma part une mauvaise provocation mais l’idée de ton départ définitif m’attristait trop.
Sur ce sujet comme d’autres, tu n’aimais pas beaucoup la contradiction. Moi, j’aimais polémiquer avec toi et cela me permettait de découvrir les limites du bon sens et de la morale. Il valait mieux avoir de solides arguments pour que tu écoutes une démonstration ou un avis jusqu’au bout ! Pendant mon adolescence, combien de fois ai-je dû terminer les repas à la cuisine quand tu considérais mes propos insolents au lieu d’être convaincants. Tu nous as forcés à être cohérents.
Tu nous as appris aussi à être curieux. Tu aimais m’emmener dans les musées, ton univers préféré. Chaque fois que nous rentrions dans ces temples de la création artistique, tu me faisais vivre, comprendre, apprécier les œuvres d’art, tes compagnons jusqu’à ta maladie, au Musée Carnavalet, dont tu étais une grande animatrice, ou dans les haut lieux de la culture européenne.
Ta vie a été bien active. Tu n’arrêtais jamais. Aussi bien dans la promotion de l’art, l’éducation de tes enfants, la gestion du foyer familial ou dans l’appui que tu as toujours donné à Papa. Tu te plaignais parfois d’être toujours en mouvement mais tu disais ne pas pouvoir faire autrement : il te fallait toujours faire plus et mieux. Ce qui incitait souvent ton fils Philippe à dire : « Maman, couche-toi, repose-toi ! ». Dieu a voulu que tu écoutes enfin Philippe… Comme dit la chanson, tu as maintenant toute la mort pour te reposer ! Tu nous as ainsi donné le goût du travail et le sens du devoir. Tu laisses trois fils qui essaient de donner, à tout moment, le meilleur d’eux-mêmes.
Tu nous as donné le sens de la lutte : née dans une famille hongroise de 9 frères et soeurs, tu as financé toi-même tes études secondaires et universitaires en obtenant des bourses dont l’attribution était liée aux seuls excellents résultats scolaires. Pendant la 2e Guerre Mondiale, tu as quitté la Hongrie et séjourné, seule, en Italie puis traversé l’Allemagne pour te rendre en Suède. Toute seule …
Tu nous as donné le sens de l’effort. Dans les années soixante, ton dos démoli au point où tu ne pouvais plus porter un paquet, tu as entrepris une rééducation par le yoga : après 2-3 ans, une fois rétablie, tu nous étonnais par ta souplesse et ta force physique.
Par tes attitudes et tes propos, tu nous as donné un sens moral profond, fondé sur tes croyances religieuses solides. La foi en Dieu ne t’a jamais fait défaut, la pratique de la religion catholique a été une constante. Tu aimais vérifier l’état de notre pratique religieuse : tu me demandais périodiquement la date de ma dernière confession et je te répondais, sans que ma réponse te satisfasse, que c’était une affaire entre mon confesseur et moi ! Tu as contribué à la conversion de Papa à la religion catholique. Ce qui nous a permis, à nous, vos enfants, d’assister au baptême de notre père après que lui eût assisté à nos baptêmes !
Tu nous as appris à détester les personnages immoraux, les fortunes mal gagnées. Tu expulsais verbalement les marchands du Temple.
Tu nous as appris à respecter l’autre, si possible à l’aider, surtout lorsqu’il est plus faible. Tu as bien intégré dans tes actes et tes paroles l’enseignement du Christ. C’est toute une morale du devoir que tu nous as transmise.
J’ai un grand souvenir. Un matin, tôt, alors que j’avais 7 ou 8 ans, tu m’as emmené dans le Parc de Versailles, après une nuit de neige. Il n’y avait personne. Seuls toi et moi. C’était comme un rêve. La sérénité. Le bonheur : une maman qui t’aime, que tu aimes, dans un paysage silencieux rendu vierge par un manteau blanc. La re-création du monde. Seuls bruits : nos pas et le chant des corbeaux … Tout était beau. Le paradis. J’espère que là où tu trouves maintenant, c’est aussi beau et que tu y côtoies ceux qui t’aiment et que tu as aimés.
Pour tout ce que tu nous as apporté et donné, merci, chère Maman, chère Mamikam (comme t’appellent tes 5 petits-enfants), chère Piry-Baba (en hongrois : Piry ma Poupée) comme je t’appelais parfois, affectueusement, mais pour te taquiner en dépassant les limites du respect.
Au revoir, en espérant cependant que ce soit le plus tard possible afin d’avoir le temps de profiter de la vie et de remplir nos missions sur Terre.